Financer des villes plus vertes pour l’avenir que nous voulons Financing Greener Cities for the Future We Want

Ingrid Coetzee, Cape Town
Elisabeth Chouraki, Paris

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À l’occasion de la Journée internationale de la biodiversité, le Centre pour la biodiversité des villes de l’ICLEI, le projet de soutien de l’UE au Cadre pour la biodiversité post 2020 et The Nature Of Cities (TNOC) mettent en lumière la nécessité de faire de la nature une partie de la solution pour des villes plus vertes. Pour des infrastructures respectueuses de la nature

Le monde s’urbanise rapidement, exposant nos ressources naturelles à une pression croissante pour répondre aux demandes en infrastructures, terres, eau, nourriture et autres besoins vitaux. Selon le département des affaires économiques et sociales des Nations unies (UN DESA), 55 % de la population mondiale vivait dans des zones urbaines en 2018 et cette proportion devrait atteindre 68 % en 2050. Le Rapport Planète Vivante 2020 du WWF indique que l’urbanisation est une des principales causes de destruction et dégradation de la nature et que le monde surexploite actuellement les ressources naturelles à un rythme sans précédent. L’indice Planète vivante 2020 indiqueune chute moyenne de 68 % des populations surveillées de mammifères, d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles et de poissons entre 1970 et 2016. Ces tendances démographiques des espèces constituent un indicateur important de mesure de la santé globale des écosystèmes.Read this essay in English.Les infrastructures sont essentielles à la réalisation des Objectifs du Développement Durable (ODD). A l’échelle mondiale, nous construisons l’équivalent “d’un Paris par semaine” (Anderson, 2020) en nouvelles structures pour répondre à notre demande d’infrastructures. Répondre à ce besoin d’infrastructures a des conséquences considérables sur les ressources naturelles. Il nous faut doncintégrer la nature dans la conception des infrastructures afin de minimiser leur impact négatif et les rendre bénéfiques pour la nature. Répondre à ces demandes croissantes tout en protégeant la biodiversité, met à rude épreuve les ressources financières, tant au niveau national que local.

Infographic created by The Natue of Cities using source data.
Infographie créée par The Nature of Cities à partir de données sources.

Cet essai fait partie du projet francophone du TNOC.Le rapport de l’étude intitulée “The Cost of Policy Inaction — the case of not meeting the 2010 biodiversity target” (Le coût de l’inaction politique — Le cas de la non-réalisation de l’objectif de 2010 en matière de biodiversité), commandée par la Commission européenne au cours de la dernière décennie, s’est penché sur la valeur monétaire de la perte de biodiversité dans le monde causé par la non-réalisation de l’objectif 2010 en matière de biodiversité. Il a prudemment estimé que la perte de services écosystémiques et de biodiversité s’évalueà environ 740 milliards USD par an et que si la perte de biodiversité se poursuit au rythme prévu, le coût cumulé des services écosystémiques perdus depuis 2000 pourrait atteindre 20 000 milliards USD en 2050. Le manque de financement est l’un des plus grands défis auxquels nous sommes confrontés pour lutter contre la perte de biodiversité et la dégradation de la nature. Nous devons repenser fondamentalement notre relation avec la nature et transformer nos modèles économiques et nos systèmes de marché.

L’initiative de financement de la biodiversité (PNUD BIOFIN) estime que plus de 400 milliards de dollars US sont nécessaires chaque année pour protéger la biodiversité.  Mais seule une fraction de cette somme est actuellement levée. Au niveau des gouvernements locaux, en particulier, les ressources financières sont principalement obtenues par des transferts de fonds intergouvernementaux, des subventions et des taxes. Or nombre d’entre eux ne sont pas viables à long terme. Le financement de la biodiversité a été encore davantage mis à l’épreuve par la pandémie mondiale COVID-19 en cours (OCDE, 2020). Le rapport sur les risques 2021 du Forum économique mondial (WEF) classe la perte de biodiversité, les maladies infectieuses et l’échec de l’action climatique parmi les quatre principaux risques en termes d’impact dans le paysage mouvant des risques. La pandémie en cours a des répercussions humaines, sociales et économiques indéniables et a démontré la vulnérabilité et les inégalités inhérentes à nos systèmes socio-économiques. Une enquête menée conjointement par l’OCDE et le Comité européen des régions (CdR) dans 24 pays de l’Union européenne indique que la plupart des administrations municipales s’attendent à ce que la crise socio-économique liée au COVID-19 ait un impact négatif sur leurs finances, avec un dangereux “effet ciseaux” de hausse des dépenses et de baisse des recettes. Cet “effet ciseaux” est vécu de manière encore plus aiguë dans les pays en développement.

Le WEF admet que “si le COVID-19 et la nature sont liés, la reprise devrait l’être aussi”. Selon le rapport “Future of Nature and Business” du Forum économique mondial, des développements favorables à la nature dans le domaine des infrastructures et dubâti pourrait créer plus de 3 000 milliards de dollars d’opportunités commerciales et 117 millions d’emplois d’ici 2030. La cinquième édition du Global Biodiversity Outlook (GBO) a identifié les villes et les infrastructures durables comme l’une des huit voies de transition permettant de vivre en harmonie avec la nature et de réaliser la Vision pour la Biodiversité à l’horizon 2050 définie par la Convention pour la Diversité Biologique des Nations-Unies.

Infographie créée par The Natue of Cities à partir de données WEF.

Plus récemment, le Dasgupta Review of the Economics of Biodiversity, publié en février de cette année, a souligné que nos économies, nos moyens de subsistance et notre bien-être dépendent tous de notre bien le plus précieux : la nature. “La nature est plus qu’un bien économique : elle a aussi une valeur intrinsèque. La biodiversité permet à la nature d’être productive, résiliente et adaptable.” affirme la publication. Selon cette revue, les estimations de notre impact global sur la Nature suggèrent que nous aurions besoin de 1,6 Terre pour maintenir le niveau de vie actuel du monde. Il estime ensuiteque “pour protéger 30% des terres et des océans de la planète et gérer efficacement ces zones d’ici 2030, il faudrait un investissement moyen de 140 milliards de dollars par an.

Amener la conversation au Festival TNOC

Alors que nous nous engageons sur la voie de la relance et de la re-conception des villes, il est crucial de le faire en reconnaissant les limites planétaires, en envisageant  la nature comme  partie intégrante de la solution et en abordant les questions d’inégalité et d’injustice. Il est donc de plus en plus nécessaire de mobiliser des ressources, tant pour répondre aux demandes urbaines, sociales et économiques, que pour garantir une gestion durable des écosystèmes et des ressources naturelles dont dépendent bon nombre de ces demandes. Il est communément admis que la mobilisation des ressources fait partie intégrante de la réalisation de nombreux objectifs mondiaux actuels, tels que le Cadre mondial pour la biodiversité post-2020, les objectifs de développement durable (ODD) et bien d’autres.

Le Global City Biodiversity Center (CBC) d’ICLEI a plaidé pour une mobilisation accrue des ressources et des investissements dans les infrastructures vertes et bleues, ainsi que pour la restauration des services écosystémiques, à l’échelle de la ville et de la région, dans le cadre de sa feuille de route pour la défense de la biodiversité en vue de la 15e Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique. L’initiative Cities with Nature s’inscrit dans le cadre d’une collaboration entre ICLEI (au nom de la Global Taskforce of Local and Regional Governments), le Comité européen des régions, Regions for Sustainable Development, le Comité consultatif des gouvernements infranationaux (coordonné par Regions4 Sustainable Development et le gouvernement du Québec), le Group of Leading Subnational Governments toward Aichi Biodiversity Targets et le gouvernement écossais.

Pour élargir le débat sur l’investissement dans un réaménagement des villes intégrant mieuxla nature et sanspréjudice net pour la biodiversité, ICLEI a organisé et accueilli une session virtuelle au TNOC Festival 2021. Le thème de cette session, “Financer des villes plus vertes pour l’avenir que nous voulons”, était particulièrement pertinent au regard des conclusions de l’étude Dasgupta sur l’économie de la biodiversité publiée en février 2021. Il est de plus en plus urgent d’engager les investisseurs et les administrateurs des villes sur le sujet de l’investissement, car les administrations municipales sont confrontées à des pressions croissantes pour faire face à la triple crise de la biodiversité, du climat et de la santé, alors que leurs sources de revenus diminuent de manière alarmante en raison des effets d’entraînement de la pandémie en cours sur l’économie et le tissu social à l’échelle urbaine et nationale.

La session “Financer des villes plus vertes pour l’avenir que nous voulons” a pris la forme d’une table ronde, qui a réuni des experts financiers, des investisseurs et des représentants des villes pour échanger des idées sur les approches, produits et solutions de financement innovants auxquels les villes pourraient avoir accès pour accélérer l’investissement et la transition vers des infrastructures vertes et bleues, une relance verte et des processus d’achat verts, afin de restaurer les écosystèmes et leur contribution aux personnes et de protéger la biodiversité. La session a donné l’occasion à certaines villes du Sud, Campinas au Brésil et Kochi en Inde, de présenter un concept de projet de leur ville respective au panel d’experts et d’explorer les possibilités de financement de la biodiversité, l’assistance technique et les solutions innovantes.

La session a été modérée par Mme Kimberley Pope, chef de projet et de communauté, Nature Action Agenda, au Forum économique mondial, et le panel d’experts était composé de Frédéric Audras, chef du département Développement urbain, planification et logement à l’Agence française de développement (AFD) ; Alexander Wiese, directeur général, co-responsable de l’Europe chez Bankers without Boundaries (BWB) ; et Aloke Barnwal, spécialiste principal du changement climatique, unité des programmes et coordinateur du Sustainable Cities Impact Program (SCIP) du Fonds pour l’environnement mondial (FEM). Les présentations des villes ont été faites par Gabriel Dias Mangolini Neves, ingénieur en environnement au Secrétariat de l’environnement et du développement durable de la ville de Campinas, et par le Dr C. Rajan, directeur du Centre pour le patrimoine, l’environnement et le développement (C-HED) de la municipalité de Kochi.

Ville écologique, l’une des nombreuses conceptions imaginatives de cet architecte parisien. Image : Vincent Callibaut

Le panel a abordé les questions suivantes : les facteurs clésque les institutions de financement et les investisseurs recherchent lorsqu’ils examinent des projets. Les experts ont partagé leurs idées et  conseils sur les changements qui pourraient être nécessaires pour rendre l’offre des deux villes plus attrayantes du point de vue des investissements et du financement. Les experts ont également échangé des informations sur les mécanismes et les options de financement et d’investissement disponibles qui seraient les mieux adaptés aux projets des deux villes. Une discussion a aussi eu lieu sur les facteurs clés de succès et les mécanismes de gestion des risques qui doivent être en place pour que les investisseurs envisagent d’investir dans les projets. Enfin, les panélistes et les experts des villes ont discuté des moyens dont les villes ont besoin pour accéder au financement et concevoir des solutions innovantes en matière de durabilité. Ils ont également identifié certains des mécanismes et options disponibles pour aider les villes à renforcer leurs capacités.

En conclusion, construire des villes plus vertes pour un avenir plus durable est possible, mais nécessite une action et une réorientation des investissements des secteurs public et privé. Les villes, en particulier, bénéficieront d’un environnement d’investissement favorable qui facilite l’accès aux mécanismes de financement et d’investissement et fournit des solutions de financement efficaces à tous les niveaux. La mobilisation des ressources est une question politique clé dans les consultations et les négociations en cours sur le cadre mondial pour la biodiversité (GBF) post-2020. Elle faitpartie intégrante de la garantie de sa mise en œuvre efficace. Un groupe d’experts a été nommé en vertu de la décision 14/22 de la 14e Conférence des Parties (COP) à la Convention sur la diversité biologique (CDB), afin d’explorer, d’examiner et de faire des recommandations sur divers aspects de la mobilisation des ressources à inclure dans le GBF post-2020.

Les rapports et recommandations du panel d’experts seront délibérés lors des sessions informelles et formelles de l’Organe Subsidiaire pour laMise en œuvre (SBI). Les ambitions des villes et des régions concernant la mobilisation des ressources sont reflétées dans la Déclaration d’Édimbourg sur le GBF post-2020. Si nous pouvons mobiliser les ressources financières nécessaires pour soutenir la transition vers un avenir plus vert qui favorise le développement de la nature dans les villes, nous créerons non seulement de nouvelles opportunités pour les entreprises et des emplois pour tous, mais nous renforcerons également le lien des villes avec la nature pour une planète plus durable, et pour l’avenir que nous voulons.

On The Nature of Cities

[1] “Mobilizing Investors to Protect Climate, Land and Biodiversity – Summary of Three Key Events on Natural Capital Investing November 2019, and outlook 2020”

[2] OECD, 2020, The territorial impact of COVID-19: Managing the crisis across levels of government